
Radio France lancera-t-elle bientôt une enceinte destinée aux enfants, à partir de laquelle ils pourront écouter, seuls comme des grands, des programmes taillés pour leurs oreilles dans un environnement sécurisé ? Cette chouette idée est née en 2018, lors du premier « accélérateur d’idées » organisé par l’entreprise, une sorte d’atelier d’« intrapreneuriat » monté autour du thème : « Créer la radio de demain pour les auditeurs de demain. » Trois collaboratrices de la Maison ronde avaient alors bénéficié de plusieurs jours pour « prototyper » le fruit de leur imagination, un « objet connecté permettant de programmer et d’écouter des contenus Radio France pour les 3-9 ans ».
Modélisée sous la forme du rapace nocturne, la « Chouette radio » était née. Si cet appareil numérique dépourvu d’écran ne gardera vraisemblablement ni ce nom ni cette apparence, sa commercialisation approche à grands pas.
Pour l’heure et au moins jusqu’à l’été, Radio France se garde d’en dire davantage. Mais les statuts de la société créée pour fabriquer l’objet ont été déposés le 15 mars, suscitant en interne autant de questions que de réticences. « L’idée de développer des programmes pour les enfants est bonne, reconnaît Valeria Emanuele, déléguée syndicale SNJ. Mais si, pour les financer, il faut aller chercher de l’argent à l’extérieur et créer une filiale, c’est là que les problèmes commencent. »
« Un précédent dangereux »
Bayard Editions (« J’aime lire », « Les belles histoires », « Pomme d’Api », etc.) et Radio France sont en effet censés apporter 350 000 euros au projet, quand la Caisse des dépôts et consignations s’y associe pour 1,4 million d’euros, ainsi que l’a révélé Le Canard enchaîné. Un budget censé permettre la fabrication (française) de l’objet lui-même, mais aussi peaufiner son modèle technologique, promettant le rafraîchissement régulier des contenus préchargés.
« La création d’une filiale à visée commerciale (…) constitue un précédent dangereux pour le financement futur de Radio France », s’insurgent les élus du comité social et économique (CSE) central, dans une déclaration unanime du 25 mars. Cette « stratégie de recherche de ressources propres » pourrait encourager l’Etat dans un désengagement financier, craignent-ils.
Le 26 mars, c’était au tour des deux administrateurs représentants des salariés au conseil d’administration de Radio France de voter contre le projet. Avec un argument supplémentaire : la radio publique n’a pas vocation à faire payer les auditeurs pour leur donner accès à des productions qu’ils financent déjà par le biais de la contribution à l’audiovisuel public. « C’est une rupture philosophique profonde par rapport à tout ce qui s’est passé à Radio France depuis sa création, s’indigne Jean-Paul Quennesson, délégué syndical SUD. Radio France ne peut pas renoncer à sa mission de s’adresser à tous gratuitement. Ce serait tourner le dos aux plus modestes. »
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