
En temps normal, samedi, Alex Pambo aurait dû exercer sa profession de footballeur professionnel. Mais l’attaquant de Lozo Sport, un club basé dans la ville de Lastourville, dans le centre du Gabon, devra une fois de plus passer son tour. Dans ce petit pays d’Afrique centrale, plus personne ne foule les pelouses des stades depuis le printemps 2020 et l’arrivée de la pandémie de Covid-19. Une interruption qui n’en finit pas alors que les championnats ont repris dans tous les autres pays africains.
S’il en a le courage, Alex Pambo, âgé de 21 ans, ira peut-être courir afin de garder un semblant de forme, avant de reprendre, lundi, son nouveau métier de vitrier. « Je gagnais environ 200 euros par mois, mais les clubs ne versent plus les salaires. J’ai donc commencé une formation de vitrier. Comme je ne suis qu’apprenti, cela me rapporte 100 ou 150 euros, parfois moins. En attendant que le championnat reprenne, il faut bien vivre… »
Comme des centaines de footballeurs gabonais, Pambo s’est retrouvé du jour au lendemain privé de moyens de subsistance. Et plongé dans une sévère déprime. « Avant, même si on galérait pour avoir nos salaires, au moins, on jouait. Moi, je traverse des moments très difficiles. Oui, je suis abattu. Parfois, je n’arrive pas à me lever le matin, pour aller faire un footing. Pour quoi faire, d’ailleurs ? On ne sait pas quand on va rejouer. Et quand, comme moi, on ne mange qu’une ou deux fois par jour, les efforts physiques sont difficiles à supporter, poursuit l’international des moins de 20 ans. Pourquoi l’Etat refuse-t-il qu’on rejoue ? »
Chercher un autre travail
Franck Nguema, le ministre des sports, avance d’abord des arguments sanitaires. Un arrêté ministériel, début novembre 2020, a suspendu la pratique des sports collectifs pour éviter la propagation du virus. L’abrogation de ce texte, explique-t-il, dépend de la situation sur le front de l’épidémie qui a fait officiellement 136 morts depuis son démarrage mais a connu un regain à partir de janvier. « Nous constations ces derniers jours une décrue, mais nous devons observer si elle se confirme, pour envisager une levée progressive des mesures restrictives », indique-t-il.
L’Association nationale des footballeurs professionnels du Gabon (ANFPG), présidée par l’ancien international Rémy Ebanega, soulève cependant une question. « Pourquoi ne pas avoir au moins essayé de reprendre le championnat avec un protocole sanitaire strict, comme ailleurs en Afrique ? La sélection a joué en mars contre la République démocratique du Congo à Franceville [est du Gabon] en qualifications pour la CAN [Coupe d’Afrique des nations] 2021, et il n’y a eu aucun souci. »
Le syndicat conseille donc aux joueurs de chercher, au moins temporairement, un autre travail. « Beaucoup sont dans une situation financière et mentale alarmante, parce qu’ils ont des familles, des charges. Certains sont menacés d’expulsion par leurs bailleurs », poursuit Ebanega. L’ANFPG distribue des kits alimentaires et de produits de première nécessité, où règle quand il le peut le loyer d’un joueur sur le point de se retrouver à la rue.
« Pour les plus âgés, la retraite anticipée »
Le président de la Fédération gabonaise de football (Fegafoot), Pierre-Alain Mounguengui, envisage une reprise du championnat « en septembre ou en octobre » seulement. Ce statu quo n’est cependant pas motivé uniquement par des arguments sanitaires mais également financiers. Car au Gabon, l’Etat verse une subvention annuelle aux clubs, afin de leur permettre d’assumer la grande partie de leurs charges. Avec l’interruption du championnat, ces financements sont suspendus, permettant au pays de réaliser quelques économies bienvenues en ces temps de disette.
De son côté, le gouvernement accuse les clubs de faire un mauvais usage des fonds déjà déboursés, au détriment des footballeurs en bout de chaîne. « Depuis 2012, l’Etat a injecté 54 millions d’euros. Notre préoccupation porte sur la gestion de cette somme par les bénéficiaires, souligne Franck Nguema. Des dispositions seront bientôt prises pour que les sportifs vivent dignement de leur profession, dans le cadre d’une réforme du football. »
Le Gabon prépare-t-il une génération sacrifiée de joueurs ? « Oui, c’est le cas, estime Alex Pambo. On ne rattrape pas un an et demi sans jouer. Pour les plus âgés, c’est la retraite anticipée. Pour les plus jeunes, c’est une perte de chances de partir à l’étranger, puisque sans compétition, on ne peut pas se montrer. » Franck Nguema se dit convaincu que « la situation sportive et sociale des sportifs va s’améliorer très bientôt » et demande aux footballeurs de « garder espoir ».
En attendant, ces derniers ont manifesté devant le siège de la Fegafoot jeudi 22 avril. Leur revendication ? Qu’une partie de la subvention Covid de la FIFA – ce plan d’aide d’1,2 milliard d’euros mis en juin 2020 à la disposition de la communauté du football – soit utilisée pour payer leurs arriérés de salaire vieux de plusieurs années, et non pour financer l’ouverture d’une boutique destinée à vendre des produits dérivés…
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