Le triomphe de Nomadland était attendu, après une série de victoires lors de la saison des prix d’Hollywood, et il a bien eu lieu, sans coup férir, dimanche 25 avril, lors de la 93e cérémonie des Oscars, qui se tenait pour l’essentiel à Los Angeles, avec quelques décrochages par satellite dans le monde entier pour certains nommés, alors que la pandémie de Covid-19, qui a bouleversé le monde du cinéma depuis un an, a contraint les producteurs à adapter leur dispositif.
Le long-métrage a été sacré meilleur film, Chloé Zhao a obtenu la statuette de la meilleure réalisatrice – accordée à une femme pour la deuxième fois, seulement, dans l’histoire – et son interprète principale, Frances McDormand, est meilleure actrice, pour la troisième fois de sa carrière (après Fargo, en 1997, et 3 Billboards, Les Panneaux de la vengeance, en 2018). Elle rejoint dans le club des triplement couronnées Meryl Streep, Ingrid Bergman et Katharine Hepburn.
La promesse de diversité et de mixité a été tenue
Dans une cérémonie étrange, organisée (trop ?) au cordeau par le réalisateur Steven Soderbergh, dans la gare principale de Los Angeles, Union Station, et peuplée de films que bien peu de gens ont eu l’occasion de voir en salles – l’obligation de sortie à Los Angeles pour concourir avait été exceptionnellement levée en raison de la pandémie –, Frances McDormand a exhorté les téléspectateurs à quitter, dès que possible, leur canapé : « Regardez notre film sur le plus grand écran possible. Et un jour, très, très bientôt, emmenez tout le monde, vous savez, dans un cinéma, côte à côte dans ce lieu sombre, et regardez tous les films qui sont représentés ici ce soir. »
Au final, dans la compétition entre les plates-formes de streaming et le grand écran, Netflix, qui avait accumulé trente-six nominations, un record, peut s’estimer heureux, avec sept statuettes, un autre record pour un site de vidéo à la demande. Le géant californien a raflé des Oscars techniques (maquillage/coiffure et costumes pour Le Blues de Ma Rainey et décors et photographie pour Mank), le prix du documentaire (La Sagesse de la pieuvre) et enfin celui des meilleurs courts-métrages (animation et traditionnel). Il devance tous les studios traditionnels – mais il faut bien dire que, face au Covid-19, ces derniers ont souvent opté pour un décalage des sorties de leurs films en attendant des temps meilleurs.
Après des années de polémique sur le manque d’ouverture aux femmes et aux minorités de l’Académie des Oscars, la promesse de diversité et de mixité a été tenue, avec des femmes enfin récompensées (Chloé Zhao, donc, mais aussi la Britannique Emerald Fennell pour le scénario original de Promising Young Woman) et un défilé de stars du Black Hollywood sur scène pour remettre les prix (Regina King, Angela Bassett, Halle Berry, Zendaya…).
Malgré des déceptions dans les catégories phares, les nombreux films consacrés à l’histoire de la communauté afro-américaine n’ont pas été ignorés, notamment Judas and the Black Messiah (meilleur second rôle masculin pour Daniel Kaluuya, meilleure chanson), sur la vie et l’assassinat du leader des Black Panthers à Chicago Fred Hampton. L’acteur-réalisateur-producteur Tyler Perry a également été récompensé d’un prix honorifique pour son action humanitaire.
Quelques jours après le verdict dans le procès du meurtre de George Floyd, un Afro-Américain, par un policier blanc à Minneapolis, et après une année de manifestations contre le racisme aux Etats-Unis, les remises de prix ont été l’occasion de revenir sur ces évènements qui déchirent l’Amérique – malgré les recommandations des producteurs de mettre la pédale douce sur les discours politiques, devenus omniprésents ces dernières années au risque de faire fuir les téléspectateurs.
La soirée a été bonne pour les Français
L’actrice et réalisatrice Regina King, à qui est revenu la difficile mission d’ouvrir la cérémonie, a résumé le paradoxe : « Si les choses s’étaient déroulées différemment la semaine dernière à Minneapolis, j’aurais peut-être échangé mes talons hauts contre des chaussures pour manifester. Je sais que beaucoup d’entre vous, à la maison, cherchent leur télécommande [pour changer de chaîne] lorsque vous avez l’impression qu’Hollywood vous fait la leçon. Mais en tant que mère d’un fils noir, je connais la peur avec laquelle tant de gens vivent et que la célébrité et l’argent ne changent pas. Mais ce soir, nous sommes ici pour célébrer. »
« S’il vous plaît, ne soyez pas indifférent à notre douleur », a exhorté de son côté le comédien Travon Free, venu recevoir le prix du meilleur court-métrage pour Two Distant Strangers, l’histoire d’un dessinateur noir enfermé dans une boucle temporelle qui voit sa journée se terminer invariablement par son meurtre par un policier.
Autre gagnant de la soirée, The Father, l’adaptation de la pièce de Florian Zeller, pour laquelle le romancier français a obtenu le prix du meilleur scénario et dont l’acteur principal, Anthony Hopkins, a été récompensé.
La soirée a été bonne pour les Français, avec un lauréat côté meilleur son (Nicolas Becker, Sound of Metal), une autre côté court-métrage documentaire, la productrice Alice Doyard qui a conclu son intervention d’un retentissant « vive la France » après avoir dédié le prix accordé au film Colette, sur une résistante française, « aux femmes du monde entier, de tous les âges, qui unissent leurs forces et luttent pour la justice ».
La cérémonie presque sans relief et sans humour – à l’exception d’un « twerk » improvisé par l’actrice Glenn Close –, s’est terminée en queue de poisson – avec le prix du meilleur acteur plutôt que celui du meilleur film, comme c’est l’habitude, et qui plus est attribué à un Anthony Hopkins absent, là où on attendait une séquence émotion autour de Chadwick Boseman, mort en 2020, et présent dans la catégorie.
L’émotion, inattendue, était au final venue bien avant, lors du discours poignant du réalisateur Thomas Vinterberg (meilleur film étranger pour Drunk) évoquant sa fille disparue dans un accident de voiture au début de son tournage : « Nous avons fini par faire ce film pour elle, comme son monument. Alors, Ida, c’est un miracle qui vient de se produire. Et tu fais partie de ce miracle. Peut-être as-tu tiré des ficelles quelque part. Je ne sais pas. Mais celui-ci est pour toi. »
Film : Nomadland
Réalisateur : Chloé Zhao (Nomadland)
Actrice : Frances McDormand (Nomadland)
Acteur : Anthony Hopkins (The Father)
Second rôle féminin : Youn Yuh-jung (Minari)
Second rôle masculin : Daniel Kaluuya (Judas and the Black Messiah)
Scénario original : Emerald Fennell (Promising Young Woman)
Scénario (adaptation) : Christopher Hampton et Florian Zeller (The Father)
Musique originale : Trent Reznor, Atticus Ross et Jon Batiste (Soul)
Chanson originale : Fight for You (Judas and the Black Messiah ; musique par H.E.R. et Dernst Emile II ; paroles par H.E.R. et Tiara Thomas)
Film en langue étrangère : Drunk (Thomas Vinterberg)
Film d’animation : Soul
Documentaire : La Sagesse de la pieuvre
Maquillage et coiffure : Sergio Lopez-Rivera, Mia Neal et Jamika Wilson (Le Blues de Ma Rainey)
Costumes : Ann Roth (Le Blues de Ma Rainey)
Décors : Donald Graham Burt, Jan Pascale (Mank)
Photographie : Erik Messerschmidt (Mank)
Montage : Mikkel E. G. Nielsen (Sound of Metal)
Son : Nicolas Becker, Jaime Baksht, Michelle Couttolenc, Carlos Cortés et Phillip Bladh (Sound of Metal)
Effets spéciaux : Andrew Jackson, David Lee, Andrew Lockley et Scott Fisher (Tenet)
Court-métrage : Two Distant Strangers (Travon Free et Martin Desmond Roe)
Court-métrage d’animation : If Anything Happens I Love You (Will McCormack et Michael Govier)
Court-métrage documentaire : Colette (Anthony Giacchino et Alice Doyard)
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