
A l’heure du retour en force des manifestants dans les rues après une année d’interruption pour cause de pandémie, l’inquiétude gagne une partie du Hirak et du camp démocrate en Algérie. La place des islamistes dans le mouvement, jugée grandissante par leurs détracteurs, ravive les plaies jamais refermées de la « décennie noire : » la guerre qui a opposé le pouvoir aux islamistes armés dans les années 1990 et fait jusqu’à 200 000 morts selon les estimations.
Des slogans récemment apparus dans les rues, tels que « Services de renseignements-terroristes », ou « Nous savons qui a tué dans les années 1990 » – sous-entendu : l’Etat – attisent ces craintes alors qu’aucun travail de mémoire ni de justice n’a jamais été entrepris sur ces années traumatisantes pour les Algériens. Le régime s’est auto-amnistié et a amnistié la majeure partie des islamistes au début des années 2000 en échange de leur renoncement à la lutte armée.
Si la mouvance islamiste est présente dans les manifestations depuis le début du Hirak au printemps 2019, aujourd’hui c’est sa volonté supposée d’impulser de nouveaux mots d’ordre qui ranime des lignes de fracture idéologiques héritées des années 1990. Y compris au sein de l’opposition dite « progressiste » où un débat non résolu, si ce n’est empoisonné, provoque à nouveau de vifs échanges : les islamistes ont-ils leur place dans une Algérie démocratique ?
« Diaboliser le Hirak »
Au cœur des crispations figure le mouvement Rachad, fondé en 2007 en Europe par, entre autres, d’anciens cadres du Front islamique du salut (FIS) – dont une partie des militants a basculé dans la lutte armée en 1992. Très présent sur les réseaux sociaux, Rachad est une des seules forces organisées issues de la mouvance islamiste à ne pas avoir été satellisées par le régime. Le mouvement est accusé par ses adversaires de chercher à détourner les mots d’ordre du Hirak pour blanchir le FIS de ses crimes et le réhabiliter.
En réaction, une campagne inédite a été lancée sur les réseaux sociaux le 22 mars, Journée contre l’oubli des victimes du terrorisme : sous le mot-clé #Mansinach (« nous n’avons pas oublié »), des centaines de personnes ont témoigné des violences islamistes subies pendant cette période.
Cette résurgence pourrait être une bonne nouvelle pour le pouvoir qui a misé sur la répression pour éteindre la contestation mais sans y parvenir. C’est ce qu’estime l’écrivain et journaliste Arezki Metref qui, sans le minimiser, relativise le risque islamiste : « Ils [les islamistes] ont tenté une OPA propagandiste sur le Hirak, ils ont mis les moyens pour apparaître comme une force motrice, notamment sur les réseaux sociaux, mais ça ne l’est pas. Cela arrange aussi le pouvoir : c’est une façon de diaboliser le Hirak en survalorisant le rôle que les islamistes y jouent. »
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