
« Je m’explique mal les raisons qui font que la France semble découvrir, depuis quelques semaines, ce tabou de l’inceste », lance ingénument Louise Langevin, avocate et professeure de droit à l’université de Laval, à Québec. Non que le Canada soit épargné – il s’y déroule des procès et, surtout, des violences sexuelles y sont commises –, mais il existe néanmoins des raisons objectives qui justifient que les associations françaises de protection de l’enfance citent régulièrement ce pays en exemple.
« Ce sablier qui ne s’écoule pas est un obstacle de moins pour les plaignants, qui ont tout le temps devant eux pour surmonter leurs blocages et oser aller devant un juge. » Louise Langevin, avocate
Au moment où la France veut renforcer sa loi, la référence canadienne interroge. Le pays dirigé par Justin Trudeau peut se prévaloir d’une prise de conscience plus précoce. « Le poids des mouvements féministes a été déterminant dès la fin des années 1970 pour lever le silence autour de l’inceste », rappelle Rita Costa, du Mouvement contre le viol et l’inceste de Montréal.
En liant les violences faites aux femmes à celles commises contre les enfants car résultant d’une même société patriarcale, les féministes ont contribué à faire évoluer la loi. Dès le début des années 1980, le droit pénal canadien est réécrit pour caractériser les infractions sexuelles et permettre leur condamnation. L’âge légal du consentement aux rapports sexuels est par ailleurs fixé, depuis 2008, à 16 ans et, en cas d’inceste, à 18 ans.
Une condamnation soixante ans après les faits
La médiatisation de scandales de violences sexuelles perpétrés contre des enfants a aussi largement contribué à lever le tabou. En 1984, alors qu’un rapport fédéral, dit « rapport Badgley », dressait un état des lieux précis et glaçant de la situation sur tout le territoire, une affaire d’agressions sexuelles commises au sein d’une même famille sur plusieurs générations faisait la « une » des journaux. Quelque 137 chefs d’accusation étaient portés contre une dizaine d’adultes du « clan Goler », établi dans une communauté rurale de Nouvelle-Ecosse.
Et il y a cinq ans, la mise au jour de l’ampleur des agressions sexuelles subies par des milliers d’enfants dans les pensionnats autochtones a définitivement poussé le Canada à s’engager dans la bataille. L’imprescriptibilité des crimes, legs juridique de la Couronne britannique à son ancienne colonie, s’est avérée constituer un atout important dans ce combat.
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