
Entretien. Corapporteur en 1998 de la mission d’information parlementaire (MIP) sur la politique de la France au Rwanda, Bernard Cazeneuve, aujourd’hui avocat à Paris, analyse le rapport de la commission Duclert sur le rôle de la France pendant le génocide des Tutsi (1990-1994) qui a été remis, fin mars, au chef de l’Etat.
Quelle analyse faites-vous de ce rapport ?
Il est le résultat d’un long travail auquel de nombreux chercheurs ont été associés et qui disculpe la France de toute complicité dans le génocide. Il constitue, après le rapport Quilès, une contribution utile à l’établissement de la vérité sur le génocide commis par des Rwandais contre des Rwandais. Un lien existe entre ce travail et ce que j’avais écrit dans le rapport de la MIP. En revanche, je ne comprends pas le décalage entre le contenu et les conclusions du rapport.
Quelles sont vos hypothèses pour expliquer ce décalage ?
D’abord, il aurait fallu que la commission Duclert ait accès à nos archives. L’Assemblée nationale s’y est opposée au motif que des auditions avaient eu lieu à huis clos. Mais celles-ci représentaient quelques dizaines de pages. C’est donc un argument irrecevable. Ensuite, la commission Duclert a travaillé sur des archives françaises. Sa lettre de mission ne lui permettait pas de prendre en compte les travaux d’universitaires. C’est une contribution à la vérité mais elle n’est pas la vérité, car celle-ci nécessitera encore des enquêtes dans d’autres pays.
Enfin, le rapport Duclert parle d’un « biais cognitif » des autorités françaises dont je n’ai pas bien compris le sens. En revanche, il faut se méfier du biais rétrospectif, c’est-à-dire l’analyse des événements dont on connaît l’issue. Ce biais conduit à apprécier l’action des gouvernants d’hier à l’aune de ce que l’on sait aujourd’hui et qu’ils ne pouvaient pas savoir.
La commission Duclert précise qu’elle a travaillé sur des sources premières, les archives. N’écrit-elle pas aussi que les historiens peuvent désormais effectuer leurs recherches sur la base de documents rendus publics ?
Ce que je conteste, c’est que ce travail établirait une vérité définitive, dont il serait interdit de débattre. L’établissement de la vérité suppose l’examen dans le temps long de toutes les archives, celles des Etats et institutions qui ont pu avoir un rôle (Ouganda, Rwanda, ONU, OUA [Organisation de l’unité africaine], Grande-Bretagne, Tanzanie, Etats-Unis…).
Remettez-vous en cause l’analyse de la commission Duclert sur le rôle du Front patriotique rwandais (FPR) ?
Il vous reste 65.55% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.
Comments