
Le vendredi 11 mars 2011, à 14 h 46 (heure locale), un séisme sous-marin de 9,1 sur l’échelle de Richter survient à 130 kilomètres au large de l’archipel du Japon, dans l’océan Pacifique. Un puissant tsunami frappe, ensuite, la façade orientale de la région du Tohoku sur plus de 600 kilomètres de côte. La mer envahit la centrale de Fukushima Daiichi, provoquant le deuxième accident nucléaire le plus grave après Tchernobyl (1986).
L’accident nucléaire de Fukushima a profondément changé l’industrie nucléaire, y compris d’un point de vue géopolitique. Vous pouvez lire ici notre entretien avec Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du centre énergie de l’IFRI, qui revient sur les principaux enjeux pour la filière.
Nos journalistes Perrine Mouterde et Nabil Wakim ont répondu à vos questions.
Annette : Comment peut-on imaginer atteindre la neutralité carbone en France sans devoir recourir au nucléaire ? Les autres formes de production électrique sont-elles suffisantes ? Faudra-t-il revenir au charbon, bien plus polluant ?
Nabil Wakim : C’est effectivement l’objet d’un vif débat, qui commence tout juste. Si la France veut conserver un réseau électrique qui n’émet pas ou peu de gaz à effet de serre, elle dispose principalement de deux options à l’horizon 2050 : soit elle mise sur un système 100 % énergies renouvelables – un récent rapport d’experts a montré que cela était techniquement possible mais que les contraintes étaient très complexes – ; soit elle décide de construire beaucoup d’énergies renouvelables (éolien et solaire principalement) et de reconstruire un parc nucléaire, plus petit que l’actuel.
Une étude de Réseau de transport d’électricité (RTE), qui doit être rendue publique en septembre ou en octobre, doit étudier ces différentes options en détail. Dans tous les cas, la France a exclu de revenir au charbon (il ne reste que trois centrales, qui doivent fermer prochainement) et s’est interdit de construire de nouvelles centrales à gaz.
Mathieu : Quel retour d’expérience de cet accident a été tiré sur la conception des réacteurs nucléaires en France ?
Perrine Mouterde : Après l’accident il y a dix ans, les exploitants français ont dû évaluer toutes les installations nucléaires pour savoir comment elles réagiraient dans une situation de type Fukushima. Dans la foulée, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a formulé une série de prescriptions qui avaient deux objectifs : d’abord renforcer la robustesse des installations existantes et des capacités d’organisation pour faire face à un séisme ou à une inondation extrême ; ensuite mettre en place des systèmes permettant de prévenir un accident grave avec fusion du cœur et de limiter les rejets radioactifs et les impacts sur l’environnement.
La catastrophe de Fukushima a obligé la filière à se préparer à des situations qui n’étaient jusqu’alors pas prises en compte, car jugées trop peu probables. Dix ans après, toutes les prescriptions n’ont pas encore été mises en œuvre. Un certain nombre d’améliorations ont été réalisées (des diesels d’ultime secours ont été ajoutés, les digues de protection pour faire face aux inondations ont été élevées, une force d’intervention rapide a été créée, etc.), mais l’ensemble des mesures post-Fukushima ne seront pas mises en œuvre sur l’ensemble du parc avant 2035.
Corinet : Le nucléaire est l’énergie qui émet le moins de gaz à effet de serre (avec l’hydraulique), mais un redémarrage des constructions dans le monde est cher et long à mettre en œuvre. Pensez-vous que les réacteurs de 4e génération (surgénérateurs) prendront le relais avant 2040 ?
N. W. : Vous faites référence aux réacteurs à neutrons rapides, dits « réacteurs de 4e génération ». A l’heure actuelle, ces technologies sont encore à l’état de recherche et développement, notamment aux Etats-Unis, en Chine et en Russie. La France a décidé, en 2018, d’abandonner son principal programme de recherche sur le sujet, appelé « Astrid » – qui était d’ailleurs mené avec des chercheurs japonais – après avoir investi quelque 800 millions d’euros. Il semble difficile de voir émerger ce type de réacteurs avant 2040, le temps de développement et de passage à l’étape industrielle est relativement long, et le nucléaire est une industrie de longue durée.
Ignorant : Le nucléaire est-il une source majeure d’énergie sur Terre ?
N. W. : Le nucléaire représente aujourd’hui environ 10 % de la production d’électricité dans le monde et environ 3 % à 4 % de l’énergie consommée (loin derrière le pétrole, le gaz et le charbon, qui sont des énergies fossiles). La France est, à ce titre, une exception, puisque plus de 70 % de la production électrique provient du nucléaire, environ 11 % des barrages hydroélectriques.
PierreL : Dix ans après, quelles sont les conséquences environnementales et humaines avérées de l’accident de Fukushima ?
P. M. : Au niveau environnemental, le Japon a mené des opérations de décontamination dans une zone de 50 kilomètres autour de la centrale et le niveau de contamination y est redescendu à la limite acceptée au niveau mondial. Mais les forêts, qui représentent environ 75 % de la préfecture de Fukushima, n’ont pas été décontaminées et ne le seront pas. Ces travaux ont aussi généré énormément de déchets qui resteront radioactifs pendant trois cents ans et pour lesquels un site de stockage doit être trouvé. Il y a aussi la question de l’eau contaminée, qui continue à s’accumuler sur le site, et pour laquelle il n’y a pas encore de solution définitive.
Concernant la santé humaine, l’ONU précise qu’aucune hausse des cancers ne peut être directement attribuée à l’exposition aux radiations. Les scientifiques appellent toutefois à ce que les études épidémiologiques se poursuivent, des effets pouvant se déclarer bien plus tard. L’évacuation de la zone située autour de la centrale a aussi eu des conséquences sur la santé physique, mais aussi mentale des réfugiés. Beaucoup ont, par exemple, souffert d’un syndrome de stress post-traumatique.
Pierre : Dans votre réponse à Mathieu, vous parlez de situations considérées comme « trop peu probables ». Quels sont les niveaux de probabilité considérés pour le dimensionnement des centrales ?
P. M. : Selon l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), les installations sont désormais pensées pour faire face à des agressions naturelles ayant beaucoup moins d’une chance sur dix mille de survenir chaque année.
Superphénix : Est-il possible de refroidir des réacteurs sans eau à proximité ?
SF6 : Comment refroidit-on une centrale nucléaire ?
N. W. : Oui, il est indispensable de pouvoir refroidir le réacteur, c’est pourquoi les centrales se situent en général près d’une source d’eau (rivière, mer), pour pouvoir y pomper de l’eau pour refroidir les installations et ensuite pouvoir y effectuer des rejets. C’est pourquoi, dans certains cas, les opérations sont plus délicates en bord de fleuve, lorsque les températures sont plus élevées ou que le niveau du fleuve baisse.
Data-kinder : Où en est la fameuse fusion nucléaire ? Peut-on espérer voir un jour une centrale nucléaire produire de l’électricité à partir de la fusion nucléaire ?
OPY 78 : Où en est le projet ITER ?
N. W. : Le projet international ITER, qui se poursuit dans le sud-est de la France, près de Manosque (Alpes-de-Haute-Provence), tente de maîtriser la technologie de la fusion nucléaire mais ne devrait pas aboutir avant, au mieux, 2050, pour ses premières expérimentations. Il s’agit fondamentalement d’un projet de recherche, pas d’un débouché industriel à moyen terme.
Superphénix : Y a-t-il un EPR en activité dans le monde ?
N. W. : Oui, il y a deux réacteurs en activité en Chine, à Taïshan, qui ont été construits par EDF et son partenaire chinois CGN. Trois autres chantiers sont en cours : à Flamanville en France (EDF), à Olkiluoto en Finlande (ex-Areva et Siemens) et à Hinkley Point au Royaume-Uni. EDF espère également que Londres donne son accord pour la construction d’un autre réacteur à Sizewell.
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