Un juge de la Cour suprême a annulé quatre condamnations de l’ex-président de gauche, Luiz Inacio Lula da Silva, le rendant potentiellement éligible pour affronter Jair Bolsonaro lors de l’élection présidentielle de 2022.
Bruno Meyerfeld, correspondant du Monde au Brésil, a répondu à vos questions sur les conséquences de cette décision, qui a fait l’effet d’un coup de tonnerre dans un ciel politique déjà chargé.
Jo : Ne savons-nous pas depuis des années que le tribunal de Curitiba n’était pas compétent ? Pourquoi cette décision n’intervient que maintenant, y a-t-il une motivation politique des juges ?
C’est la grande question : pourquoi maintenant ? Les excès et abus de l’opération anticorruption « Lava Jato » sont connus depuis des années, et le réveil soudain du Tribunal suprême fédéral a de quoi surprendre et intrigue. C’est donc d’abord une décision politique qui a été prise. D’un côté, on peut imaginer que le juge Edson Fachin a décidé de « libérer » Lula de ses condamnations par opposition à Jair Bolsonaro dans la perspective de la présidentielle de 2022, le président d’extrême droite n’ayant eu de cesse d’attaquer le Tribunal suprême ces dernières années.
De l’autre, la presse souligne que le juge Fachin, par cette décision, tente aussi peut-être de protéger le juge Sergio Moro, ex-ministre de la justice de Bolsonaro, à l’origine de la condamnation de Lula, et dont la réputation est aujourd’hui ternie : en annulant les condamnations de Lula, il a aussi mis fin à toute une série de procédures entamées contre Sergio Moro, questionnant sa partialité dans l’affaire Lula. Paradoxalement, en « libérant » Lula, le Tribunal fédéral a aussi « sauvé » Sergio Moro.
Un perroquet maladroit : Il est peut-être un peu tôt pour juger, mais avec cette décision, le scénario d’une candidature Lula pour le PT contre Bolsonaro en 2022 est-il crédible ? Quelles chances aurait-il face à lui ?
Très crédible. C’est même une évidence. Les dirigeants du Parti des travailleurs (PT) répètent que le candidat naturel du mouvement est Lula ; lui-même ne cache pas ses ambitions. Il a de sérieuses chances de l’emporter, même si l’élection est encore loin.
Un sondage récent lui donnait un potentiel de vote de 50 % de l’électorat, contre 38 % pour Jair Bolsonaro. Les autres candidats sont relégués loin derrière : 31 % de potentiel de vote pour l’ex-juge Sergio Moro, 28 % pour l’animateur de télévision Luciano Huck, 27 % pour l’ancien candidat du PT en 2018, Fernando Haddad, et 25 % pour Ciro Gomes, le troisième homme de la dernière présidentielle. Lula est le seul qui semble capable de l’emporter face à Bolsonaro.
Maria Teresa : Qu’en est-il des électeurs de Lula ? A-t-il perdu du soutien entre-temps ?
Lula reste très populaire. Une grande partie des Brésiliens continuent d’associer les deux mandats de Lula (2003-2011) à des années lumineuses, de forte croissance, où la vie changeait vraiment au Brésil. La déchéance est venue ensuite, sous les présidences de Dilma Rousseff et Michel Temer, synonymes de déclin. Beaucoup de Brésiliens ayant voté pour Jair Bolsonaro pourraient voter pour Lula. Cependant, Lula reste une figure clivante.
Cd : Quelle est l’évolution de la popularité de Bolsonaro depuis son élection, notamment depuis la crise du Covid ? Est-il encore largement soutenu par ceux qui avaient voté pour lui ?
M. Bolsonaro, malgré (ou grâce à) la crise, conserve une indéniable popularité chez une frange importante de l’électorat brésilien. Outre ses partisans « idéologiques », obscurantistes et clairement marqués à l’extrême droite, qui le suivent quoi qu’il dise, une bonne partie des Brésiliens se retrouvent dans son discours sur le Covid-19. Le Brésil est plongé depuis six ans dans une crise économique, aggravée par la pandémie. Beaucoup de Brésiliens sont opposés à l’idée de « bloquer » l’économie et de fermer les commerces. Ils refusent l’idée d’un confinement et soutiennent M. Bolsonaro.
Cependant, une grande partie des Brésiliens sont également accablés par la gestion catastrophique de la crise du Covid-19, qui a fait plus de 260 000 morts ici, en particulier sur la question de la vaccination (que le chef de l’Etat a tout fait pour empêcher). Sa popularité a largement chuté entre décembre 2020 et janvier de 37 % à 31 %. Le pourcentage de Brésiliens désavouant l’action du gouvernement a augmenté de 32 % à 40 %. M. Bolsonaro conserve donc son socle de fidèles, mais sa popularité s’érode auprès du reste de l’électorat.
Elio : Comment est-il possible qu’un seul juge est pris une telle décision ? La cours suprême ne doit-elle pas rendre une décision commune ?
Pour faire court et ne pas rentrer dans les méandres du droit brésilien : Edson Fachin est le rapporteur d’un habeas corpus déposé par la défense de Lula, dénonçant la manière dont l’ex-président a été jugé par la cour de Curitiba. En tant que rapporteur, il peut donc seul prononcer une décision dite « monocratique ».
L’usage est cependant de prendre ce type de résolutions après avoir discuté avec ses collègues : les dix autres juges du Tribunal suprême. Dans le cas de Lula, il semble cependant que Fachin ait pris sa décision de manière solitaire, sans en parler avec les autres, prenant le reste du Tribunal suprême par surprise.
Christian : L’armée s’est rangée derrière Bolsonaro. De nombreux généraux participent ou ont participé à son gouvernement. Si l’on envisage une victoire de Lula (+ 12 % d’avance aujourd’hui dans les sondages) l’armée restera t-elle silencieuse ?
Bonne question. En 2018, le commandement de l’armée avait clairement pris position pour M. Bolsonaro. Le commandant de l’armée, le général Villas Boas, avait alors dans un Tweet clairement menacé le Tribunal suprême de conséquences dans le cas où celui-ci prendrait une décision favorable à Lula et lui éviterait la prison. L’homme fait aujourd’hui partie de l’équipe de Bolsonaro au pouvoir… tout comme de nombreux généraux, devenus ministres ou conseillers.
La situation a cependant évolué. Les généraux sont aujourd’hui partagés. Une grande partie craint un retour de Lula aux affaires, qui pourrait se venger. Mais beaucoup se montrent aussi exaspérés par l’action et le style de M. Bolsonaro, en particulier sur le dossier du Covid-19. La candidature de Lula devrait les amener à faire bloc une nouvelle fois derrière Bolsonaro, faute d’autres solutions.
Un brésilien en France : Le Parti des travailleurs étant très mal vu d’une grande partie de la population, est-ce que Lula pourrait créer et se présenter dans le cadre d’un nouveau parti politique ?
Très, très improbable : Lula a fondé le Parti des travailleurs (PT), un lien organique le lie à sa « créature ». Il s’est toujours refusé à tout changement de nom ou à tout aggiornamento. Au contraire, il veut restaurer la dignité du PT aux élections.
Letr : Comment la gauche brésilienne envisageait les élections à venir avant cette décision judiciaire ? Y avait-il un(e) probable candidat(e) favori (te) pour s’opposer à Bolsonaro ?
Elle était partie pour aller aux élections de manière très, très fragmentée, avec un candidat issu du PT (vraisemblablement Fernando Haddad), un autre issu de la gauche alternative du PSOL et au centre la candidature de Ciro Gomes, allié à des partis du centre droit. Cela faisait vraiment beaucoup, avec un risque de dispersion important.
Bouton de Bottine : Est-ce que Bolsonaro est lui-même menacé par des procédures judiciaires qui pourraient l’empêcher de se représenter en 2022 ?
Jair Bolsonaro est menacé par près de soixante-dix demandes en destitution, mais aussi par plusieurs enquêtes judiciaires, notamment au STF, remettant en cause la légalité de son élection en 2018. Tout cela pourrait aboutir d’ici 2022, si la crise venait à s’amplifier.
Jean Valjean II : Existe-il un risque de verrouillage du pouvoir par Bolsonaro (répression des opposants, modifications de la constitution, etc.) ?
Il existe chez Bolsonaro une claire tendance rhétorique « golpista », comme on dit au Brésil, c’est-à-dire laissant entendre qu’il voudrait tenter le coup de force ou un coup d’Etat. Cependant, depuis le début de son mandat, on est resté dans l’incantation et la formule. Il ne faut pas oublier que Jair Bolsonaro fut pendant près de trente ans un parlementaire brésilien, qu’il connaît parfaitement le jeu politique national et les acteurs qui le pratiquent. Bolsonaro demeure populaire, et a ses chances pour la présidentielle de 2022. Un coup de force n’interviendrait, je crois, qu’en dernier recours.
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