EnquêteLa querelle ne date pas d’aujourd’hui. Elle a débuté en 1799, le 18 brumaire, et se poursuit depuis deux siècles, sans même être interrompue par la mort de l’empereur, le 5 mai 1821.
Le débat actuel sur l’opportunité de commémorer ou non la mort de Napoléon Bonaparte opposerait donc les tenants de l’historiographie établie, prompts à célébrer l’« inventeur » des grandes institutions de l’Etat français et le propagateur des principes de la Révolution française – voire, pour certains, le champion d’une « grandeur de la France » au parfum légèrement désuet – et une nouvelle génération d’historiens qui, refusant de sacrifier au mythe napoléonien, appelleraient à découvrir la face sombre d’un régime autocratique, belliciste, patriarcal et esclavagiste.
A vrai dire, cette polémique dure depuis deux cents ans… Avec d’autres mots, d’autres enjeux – ou parfois les mêmes –, le personnage clive les historiens, les intellectuels et les opinions, non pas depuis sa mort, mais dès le moment où il apparaît dans le paysage politique. En suivant à peu près les mêmes lignes de faille qu’aujourd’hui : Napoléon était-il un despote dont les institutions, la pratique politique et l’impérialisme guerrier préfigurent les régimes autoritaires des XIXe et XXe siècles ? Ou fut-il le propagateur, à toute l’Europe et au-delà, des principes des Lumières et de la République contre les monarchies aristocratiques et les religions de l’Ancien Régime ? Pour faire plus court : Napoléon était-il de droite ou de gauche ? Notions qui, rappelons-le, sont nées de la répartition topographique des députés révolutionnaires dans la salle où se réunissait la Convention de 1792 selon leurs affinités politiques, quelques mois avant que la carrière de l’officier corse prenne son envol au siège de Toulon (septembre à décembre 1793). Il est en tout cas trop à droite pour une partie de la gauche, et trop à gauche pour une partie de la droite.
Pratiques policières et autoritaires
Cette dualité, l’intéressé l’a affichée lui-même d’une phrase qui résume toute la querelle historiographico-politique des deux siècles qui suivirent. Dès le 11 novembre 1799, soit deux jours après son accession au pouvoir par le coup d’Etat du 18 brumaire (9 novembre), la « proclamation » officielle accompagnant l’annonce de la promulgation d’une nouvelle constitution, celle du Consulat, affirme : « Citoyens, la Révolution est fixée aux principes qui l’ont commencée, elle est finie. » Même le passage du Consulat à l’Empire sera présenté par Napoléon comme une consolidation de la République contre ses ennemis intérieurs et extérieurs. La première phrase de la Constitution de l’an XII (1804) – celle qui fonde le régime impérial – affirme en effet : « Le gouvernement de la République est confié à un empereur. » Cette ambiguïté lèvera, contre Napoléon, deux oppositions contrastées.
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