
Dong ! Une fenêtre Zoom émerge soudainement sur l’écran de l’ordinateur. Nicolas Ghesquière apparaît debout au milieu d’une pièce impersonnelle – murs beiges, canapé en cuir, lumière artificielle – complètement vide de vêtements. « Je suis dans les sous-sols du Louvre !, nous éclaire le directeur artistique de Vuitton que cette perspective a l’air de réjouir. On vient de finir l’enregistrement de la vidéo dans les galeries Daru et Michel-Ange. Aujourd’hui, le public, c’étaient les statues grecques, romaines et étrusques ! »
Depuis une quinzaine d’années, la maison de luxe a noué un contrat de mécénat avec le musée parisien et organise régulièrement ses défilés féminins dans la Cour Carrée, ou plus rarement dans l’enceinte du bâtiment. « En début de saison, le Louvre me propose des salles qui pourraient accueillir un show, souvent celles qui vont être fermées pour restauration. Il y a quelques mois, on m’a montré ces galeries qui auraient été trop petites pour accueillir du public. » Mais parfaites pour une fashion week à huis clos et pour réaliser un vieux rêve de Nicolas Ghesquière : imaginer une collection autour de la mythologie et l’Antiquité.
« C’est ambitieux et pas très novateur comme thème, concède le designer de 49 ans en riant. Mais il me semblait cohérent avec la période qu’on traverse où on n’interagit plus que par écrans interposés : c’est un sujet universel, capable de parler à tout le monde et de faire rêver. » C’est aussi une thématique qui tombait bien avec le partenariat lancé en début d’année avec Fornasetti, l’atelier milanais connu pour ses céramiques et ses textiles imprimés. Les équipes Vuitton ont plongé dans leurs 13 000 pièces d’archives riches en éléments mythologiques pour en extraire symboles et dessins que l’on retrouve dans la collection.
Des volumes qui ont de l’allure
« Elle est très narrative, didactique », prévient Nicolas Ghesquière en attrapant l’iPad qui nous relie. Bzzzzz ! Un écho épouvantable déchire nos oreilles, l’image se brouille – la 5G n’a pas encore dû arriver dans les sous-sols du Louvre – puis la connexion se rétablit et nous montre un grand panneau sur lequel sont photographiées les 45 silhouettes de cette saison. Comme on pouvait s’y attendre venant de ce designer qui s’est toujours illustré par une mode exigeante et sophistiquée, pas la moindre trace de robe drapée ou de tunique légère pour cette thématique antique. « Je me le suis interdit ! », s’insurge Nicolas Ghesquière.
Le créateur cherche à créer un contraste entre la douceur et « le désir de porter un vêtement pour sortir ».
Dans cette collection, dévoilé le 10 mars, il a convoqué trois déesses : Diane pour évoquer la conquête, Vénus pour la séduction et Minerve pour la connaissance. D’un point de vue esthétique, on sent plus la filiation avec Nicolas Ghesquière qu’avec Jupiter. Les silhouettes jouent avec les formes, les matières, les superpositions pour échapper à un format familier ou des références trop évidentes. Elles ont en commun d’être enveloppées dans des volumes qui donnent de l’allure et semblent confortables : cape aux épaules ogivales, parkas qu’on dirait gonflées de l’intérieur, manteau au motif Fornasetti de chevalier doublé d’un matelassage intérieur… « Ce qui restera de cette période, c’est qu’on ne sera sans doute pas prêt à abandonner le confort qu’on a adopté ces derniers mois », estime le créateur, qui cherchait aussi à créer un contraste entre la douceur et « le désir de porter un vêtement pour sortir ». Ainsi, on trouve une partie plus ostentatoire avec des hauts brodés au fil d’argent parés de frises de sequins entrelacées, des jupes-boule grignotées par de la dentelle, des robes en velours incrusté de motifs à chaud sur lesquels des têtes de statues romaines semblent flotter… L’inventivité du designer ne semble pas avoir été entamée par le duo couvre-feu/confinement.
« J’ai des choses à dire. Dès qu’une collection s’arrête, je pense à la prochaine », admet-il. La pandémie a fait évoluer sa manière de travailler : elle a ralenti son rythme, l’a conduit à proposer moins de produits, à fabriquer moins de prototypes. A trouver aussi de nouveaux moyens de communiquer avec les clients aux quatre coins du monde, à qui la griffe rendait autrefois visite via des défilés croisière ou des petits événements. Sa motivation, elle, demeure inchangée : « On oublie souvent que si la fashion sphère court d’un défilé à l’autre de New York à Paris, c’est parce qu’il peut s’y passer quelque chose. On ne changera pas la face du monde avec la mode, mais on peut témoigner de notre société, influencer la manière dont les gens vont s’habiller pendant des années ». Une saine ambition.
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