Justice

Pourquoi des « peines minimales obligatoires » en cas de violence envers les forces de l’ordre sont inapplicables en France

0


Des policiers manifestent devant l’Assemblée nationale le 19 mai 2021, à Paris.

Le message était clair dans les rangs des syndicats policiers qui ont manifesté mercredi 19 mai devant l’Assemblée nationale : « Le problème de la police, c’est la justice ! » Réunis pour appeler à « protéger ceux qui protègent la République », deux semaines après le meurtre du brigadier Eric Masson à Avignon, les représentants des forces de l’ordre ont notamment pris pour cible la magistrature.

Dénonçant les violences envers les forces de l’ordre, ils appellent depuis plusieurs années à un durcissement de la réponse pénale. L’une de leurs revendications principales est l’instauration d’une « peine minimale obligatoire » pour tous les agresseurs de policiers, qui seraient ainsi systématiquement condamnés à de la prison. Cette mesure n’est pourtant pas conforme à la Constitution et a peu de chances de voir le jour.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Les policiers manifestent à Paris pour réclamer des peines plus lourdes pour les agresseurs des forces de l’ordre

Que dit la loi concernant l’agression des policiers ?

Les policiers, comme les gendarmes, les douaniers, les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire ou encore les sapeurs-pompiers, font partie de ce que l’on appelle les « personnes dépositaires de l’autorité publique ». Commettre une infraction ou se rendre coupable de violence envers ces personnes constitue une circonstance aggravante aux yeux du droit. Une personne qui agresse un policier est donc passible d’une peine plus lourde que celle définie de manière générale par le code pénal.

Les violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours sont par exemple punies de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, mais la peine encourue passe à cinq ans et 75 000 euros d’amende si la victime est un policier ou un gendarme. En cas de violences involontaires ayant entraîné la mort, la peine encourue par le coupable passe de quinze à vingt ans d’emprisonnement si la victime est un policier.

Lire aussi Forces de l’ordre : vingt-cinq ans de lois pour « protéger ceux qui nous protègent »

Pour les personnes dépositaires de l’autorité publique, ces peines sont également majorées en cas de violences commises avec usage ou menace d’une arme, en bande organisée ou avec guet-apens, jusqu’à trente ans de réclusion criminelle si la victime est morte.

Pourquoi les policiers réclament-ils un durcissement de la loi ?

Les cas de plusieurs policiers tués en service ou pris pour cible en raison de leur profession ont durci les positions des syndicats dans la profession, qui réclament plus de fermeté de la part de la justice. Le gouvernement a fait plusieurs propositions en ce sens, et notamment l’extension de la période de sûreté – pendant laquelle la personne condamnée à de la prison sans sursis ne peut pas bénéficier d’aménagements de peine – pour les auteurs de crimes contre les forces de l’ordre condamnés à la perpétuité.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Face à la colère des policiers, concurrence et surenchère politique

« Les statistiques démontrent que les peines prononcées sont de plus en plus sévères »

Mais cette proposition n’est pas suffisante pour les forces de l’ordre. Ils dénoncent moins d’éventuelles lacunes de la loi que le « laxisme de la justice ». Autrement dit : un nombre trop faible de condamnations ou de peines de prison réellement appliquées. Les magistrats rejettent cependant ces reproches. « Les statistiques démontrent que les peines prononcées sont de plus en plus sévères » et « le nombre de personnes détenues a progressé de 60 % en vingt ans », a réagi l’Union syndicale des magistrats dans un communiqué.

Les chiffres du ministère de la justice témoignent en effet d’une hausse, depuis vingt ans, du nombre de condamnations à de la prison ferme. Difficile, cependant, de savoir exactement ce qu’il en est dans les affaires de violence contre les personnes dépositaires de l’autorité publique, et encore moins spécifiquement contre des policiers, les données disponibles ne rentrant pas suffisamment dans le détail.

Les peines automatiques sont-elles possibles ?

Pour garantir que les auteurs de violences envers les forces de l’ordre seront condamnés à de la prison, les syndicats policiers demandent donc une « peine minimale obligatoire » pour tous les auteurs d’agression envers la profession. Cette mesure figure depuis fin avril au programme de Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France et candidat à la présidentielle.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Déconfinement des colères ? Les craintes du gouvernement sur l’après-Covid-19

Elle pose cependant « une vraie difficulté constitutionnelle », a souligné jeudi matin sur Franceinfo la porte-parole du ministère de la justice, Emmanuelle Masson. Une peine minimale obligatoire reviendrait en effet à rendre automatique une peine de prison pour toutes les personnes qui s’en prendraient aux forces de l’ordre.

Les peines automatiques sont contraires aux principes de nécessité et d’individualisation des peines

Or le Conseil constitutionnel a établi à plusieurs reprises l’inconstitutionnalité d’une telle mesure : les peines automatiques sont contraires aux principes de nécessité et d’individualisation des peines « qui découlent de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ». Le premier garantit qu’une peine n’est prononcée que si elle est strictement nécessaire pour « réparer » le dommage causé ; le second, que la peine infligée sera proportionnée et juste au regard de chaque situation, forcément particulière.

En France, une personne reconnue coupable d’une infraction doit ainsi être sanctionnée par la justice à l’issue d’un procès équitable, sous l’autorité d’un juge qui adapte sa décision aux circonstances de l’infraction mais aussi à la personnalité, la situation et l’histoire individuelles de l’auteur. Dit plus simplement : la loi définit un cadre général mais c’est au juge de décider de la peine la plus adaptée à chaque cas individuel.

L’objectif de la peine est à la fois de sanctionner les délinquants mais aussi réduire les risques de récidive en favorisant la réinsertion des condamnés. Pour ce faire, l’appréciation du juge est fondamentale et ce dernier ne peut en aucun cas se voir imposer par le législateur une peine automatique qu’il serait contraint d’appliquer.

Des peines minimales qui ne seraient pas automatiques sont-elles possibles ?

Des peines planchers ont existé dans le droit français entre 2007 et 2014 et le Conseil constitutionnel en avait validé le principe. Elles consistaient à fixer des peines minimales en cas de récidive pour des crimes et délits passibles d’au moins trois ans d’emprisonnement. Mais ces peines n’ont jamais été automatiques. Le juge pouvait décider de ne pas appliquer la sanction minimale prévue par la loi, et il l’a d’ailleurs fait à de nombreuses reprises.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Quel impact la réforme des remises de peine peut-elle avoir sur le nombre de détenus ?

En 2012, une note d’évaluation soulignait qu’en 2010 seules 38 % des condamnations éligibles avaient donné lieu à une peine minimale, un chiffre en baisse depuis l’instauration de la loi en 2007. Les juges prononçaient donc six fois sur dix des peines moindres que celles prévues par la loi. Les chiffres montraient cependant que la mesure s’était, dans le même temps, accompagnée d’une plus grande sévérité des condamnations pour les infractions concernées par la loi de 2007 : la lourdeur moyenne des condamnations a en effet augmenté sur la période allant de 2007 à 2010 par rapport à celle de 2004-2006. Les peines planchers auraient ainsi contribué au total à 4 000 années de prison supplémentaires.

Finalement, les peines planchers ont été abrogées en 2014 après que des études ont montré qu’elles aggravaient la surpopulation carcérale sans pour autant montrer un réel effet dissuasif. Les bilans ont en effet conclu qu’elles n’avaient pas réduit le risque de récidive.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Population carcérale : la France à contre-courant de l’Europe



Source link

Nakodal

62 nouveaux cas, 01 décès et 7 cas graves annoncés ce vendredi 21 mai 2021

Previous article

21 mai 1891, le capitaine Forichon est tué à Sédhiou

Next article

You may also like

Comments

Leave a reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

More in Justice