Le garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti, a récemment présenté un projet de loi dont l’objectif est de restaurer la confiance des Français dans la justice. L’une des propositions de cette loi est de supprimer les jurys populaires dans les affaires où les accusés encourent des peines allant de quinze à vingt ans de prison. Cette proposition de réforme n’est pas entièrement surprenante : elle relève d’une tendance plus large à limiter l’usage des jurys populaires en France, ainsi qu’ailleurs dans le monde – par exemple en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis. Mais alors que les raisons souvent avancées pour se débarrasser du jury mettent en avant la mauvaise qualité des décisions rendues par les jurés ou leur penchant punitif, deux raisons qui ne sont pas nettement vérifiées dans les faits, la raison principale de la réforme, avancée par le garde des sceaux, vise les frais trop élevés de cette institution estimée de surcroît trop lente.
Cependant, abandonner les jurys en raison des coûts qu’ils imposent aux institutions judiciaires suppose que l’on sache précisément ce qu’ils coûtent par rapport aux bénéfices attendus, et donc d’être en mesure d’évaluer le prix des institutions judiciaires en général. Or, remarque Dominique Coujard, ancien président de cour d’assises, dans la Gazette du Palais : « La justice est, à ma connaissance, le seul service public qui demande aux citoyens leur avis avant de prendre une décision, c’est une façon d’assimiler la justice à un pouvoir et non à un simple service public. »
La voix du peuple
Les critères pour évaluer les coûts des jurys populaires s’apparentent à ceux qui sont retenus pour estimer le prix de nos institutions et pratiques démocratiques, et non à ceux qui sont utilisés pour évaluer les coûts des services publics comme La Poste ou les transports en commun. Alors qu’il est relativement facile de décider du prix exact d’une lettre ou d’un passage sur une autoroute, il est beaucoup plus difficile d’estimer précisément celui d’un acte de justice. La justice n’est pas − ou, en tout cas, pas seulement − un service public dont la valeur saurait se réduire à un prix abordable.
L’un des bénéfices majeurs est d’enrichir la sagesse des décisions de justice en matière criminelle
Si l’on considère, en revanche, que la justice est un service public comme les autres, il faut se demander quels sont les bénéfices précis que les jurys populaires nous apportent en échange des finances qu’ils exigent. L’un de ces bénéfices majeurs est d’enrichir la sagesse des décisions de justice en matière criminelle. Ils augmentent la qualité des décisions de justice − le même Dominique Coujard a constaté que « les jurés sont plus exigeants et rigoureux que des juges professionnels car rien n’est implicite pour eux ». Les jurys donnent aussi l’occasion aux citoyens de mieux connaître les institutions pénales – non seulement les tribunaux mais aussi la police et les prisons – qui exercent du pouvoir en leur nom. Les jurés portent, en définitive, la voix du peuple qui peut les amener à contester des lois qu’ils considèrent injustes ou désuètes.
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