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Sur les traces de Monsieur Jean P., mort dans la solitude

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Publié aujourd’hui à 01h21, mis à jour à 17h07

C’est un escalier à l’ancienne, interminable et raide. Les marches s’arrêtent au sixième étage, celui des chambres de bonne, avec vue sur les toits du 9e arrondissement de Paris. La première fois que nous nous y sommes rendus, en novembre 2018, il y avait trois roses fanées devant l’une des portes. Un hommage anonyme au locataire, décédé ici même un mois et demi plus tôt. C’est une voisine qui avait donné l’alerte, un jour d’octobre. Comme il ne payait plus ses charges, elle était montée aux nouvelles, à la demande du syndic. En gravissant les marches, l’odeur l’avait saisie à la gorge. A l’arrivée de la police, le corps reposait dans ce minuscule taudis rempli d’immondices. La mort remontait à deux semaines. Le locataire s’appelait Jean P., c’était écrit sur la petite plaque de cuivre, le long de la porte. Il avait 74 ans.

Pareille histoire n’a rien d’exceptionnel. Au cours de ce même mois d’octobre 2018, au moins deux autres personnes furent retrouvées dans leur logement longtemps après leur décès : une femme de 65 ans à Montpellier, un homme de 70 ans dans le Pas-de-Calais, à Boulogne-sur-Mer. Dans les douze mois suivants, la presse régionale a recensé au moins 23 décès semblables. Des « drames de la solitude », selon l’expression consacrée.

Mort sociale

Même si l’ampleur du phénomène est difficile à évaluer, il risque de s’amplifier avec le vieillissement de la population. Selon une étude menée en 2017 par l’Association des Petits Frères des pauvres, plus de 300 000 personnes sont déjà frappées de « mort sociale » en France. Cet isolement extrême touche les plus de 60 ans en situation de précarité. Souvent incapables de sortir de chez elles, ces personnes n’ont quasiment aucune relation extérieure, autre que « commerciale ». La crise sanitaire n’a rien arrangé : 720 000 personnes âgées n’ont eu aucun contact durant le premier confinement, selon un rapport de l’association publié en juin 2020 ; beaucoup risquent de sombrer tôt ou tard dans l’oubli, comme Jean P., l’homme du sixième.

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Début 2020, nous retournons sur place. Les trois roses ont disparu. Un homme affable, la quarantaine, ouvre la porte. Michaël Nabat, un ancien voisin de palier, acquéreur de cette chambre repeinte en blanc et transformée en atelier d’horlogerie. « Voilà, il vivait ici, je laisse sa plaque avec son nom, en sa mémoire, mais ce n’était pas dans cet état. C’était terrible. » L’endroit était rempli d’immondices et de détritus entassés depuis des années.

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