Editorial du « Monde ». Alors que le pays vit depuis près d’un an sous le joug du Covid-19 et que les nerfs de chacun sont mis à rude épreuve, aucune décision sanitaire ne peut être prise sans dialogue ni pédagogie, aucun discours sur la pandémie ne peut être prononcé sans tenir compte des tensions qui traversent la société. Parce qu’elle concerne des professionnels dont le rôle est crucial et à juste titre célébré, la question de la vaccination des personnels soignants ne peut être imposée par le haut du jour au lendemain.
Il s’agit pourtant d’un problème réel et prioritaire. Que seuls 41 % des soignants des Ehpad et 30 % des personnels soignants pris globalement soient immunisés alors que le Covid est désormais la première maladie nosocomiale (contractée à l’hôpital) n’est pas acceptable. Tandis que 57 % des Covid-19 nosocomiaux proviennent des malades, 34 % sont dus aux soignants et 6 % aux visiteurs, indique Santé publique France. Que des visites de proches à des personnes âgées résidant en Ehpad (dont 83 % sont vaccinées) soient entravées par un défaut de couverture vaccinale des personnels est aussi problématique.
Plusieurs facteurs expliquent cette situation dommageable. Les personnels soignants sont, comme le reste de la population, traversés par des craintes, des doutes et des colères compréhensibles. Jusqu’au 6 février, seuls ceux âgés de plus de 50 ans ou souffrant de comorbidités figuraient d’ailleurs parmi les catégories vaccinables. Le manque de vaccins et les difficultés des personnels d’Ehpad à se faire vacciner sur leur lieu de travail n’ont pas aidé. Faute d’effectifs suffisants, des soignants infectés ont même été contraints de travailler.
Surtout, le doute émis par les autorités sanitaires, et nourri par le président de la République lui-même sur l’efficacité du vaccin AstraZeneca – aujourd’hui largement reconnue –, ont brouillé le message, alimentant le scepticisme et alourdissant le nombre de doses inutilisées. Il manque aussi une stratégie systématique d’explication et de dialogue avec les personnels soignants dans les établissements hospitaliers.
Mobilisation décrétée
Depuis qu’Emmanuel Macron s’est ému du faible taux de soignants vaccinés lors du conseil de défense de mercredi 3 mars, la mobilisation a été décrétée, et c’est heureux. Les sept ordres des professions de santé – médecins, chirurgiens-dentistes, pharmaciens, sages-femmes, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes et pédicures-podologues – ont « appelé d’une seule voix l’ensemble des soignants à se faire vacciner », invoquant un « devoir déontologique » pour « freiner la propagation de l’épidémie ».
Quant au gouvernement, il cherche à convaincre tout en brandissant la menace d’une obligation. « Tout le monde s’est retroussé les manches pour sortir de cette épidémie. Il faut maintenant les retrousser jusqu’à l’épaule en se faisant vacciner », a résumé Gabriel Attal, son porte-parole. Le « choix de la confiance » mis en avant est, pour l’heure, le seul possible. La mise en place d’une obligation ne ferait qu’accroître les tensions, déjà extrêmes, dans les hôpitaux et, en braquant les soignants, risquerait de se révéler contre-productive, en provoquant des défections.
Pourtant, alors que la vaccination massive apparaît comme l’unique issue à la crise, il faut rappeler qu’il s’agit d’un geste citoyen. A chacun ses responsabilités : aux soignants de se protéger pour préserver la collectivité. A l’exécutif d’expliquer et de convaincre. Et à Emmanuel Macron de mettre à l’épreuve son autorité en prônant enfin explicitement la vaccination.
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