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« Enfin. » « Il était temps. » Tels sont les premiers mots prononcés spontanément par une partie de la diaspora algérienne en France après la reconnaissance officielle, mardi 2 mars, par Emmanuel Macron de l’assassinat d’Ali Boumendjel. Un sentiment de soulagement à la hauteur du temps écoulé : soixante-quatre ans après ce crime, le chef de l’Etat a admis la responsabilité de l’armée française dans la mort de l’avocat nationaliste algérien, « torturé puis assassiné », le 23 mars 1957, par les militaires en pleine bataille d’Alger.
« C’était une bonne surprise », se réjouit Karima Dirèche, historienne et chercheuse au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). « M. Macron a reconnu cet assassinat en recevant les petits enfants de Boumendjel à l’Elysée, c’est une belle initiative, estime pour sa part Djamel Atallah, un consultant parisien de 57 ans qui manifeste régulièrement en soutien au Hirak, le mouvement populaire algérien de protestation né en février 2019. On voit que c’est un homme qui essaie, même à petits pas, de réconcilier les deux rives de la Méditerrannée, alors qu’il n’a pas vécu la guerre d’Algérie et qu’il doit faire face à des oppositions fortes, notamment des nostalgiques de l’Algérie française. »
Depuis son élection, M. Macron a commencé « un travail de vérité » sur la guerre d’Algérie. En septembre 2018, il a reconnu la responsabilité de l’Etat dans la mort de Maurice Audin, un mathématicien militant de l’indépendance tué en juin 1957 par les militaires français. Il a restitué à Alger, en juillet 2020, vingt-quatre crânes de résistants décapités au XIXe siècle et entreposés au Musée de l’homme à Paris. Et a confié à l’historien Benjamin Stora une mission sur « la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie », dont les conclusions, remises le 20 janvier, proposent vingt-deux gestes mémoriels tels que la reconnaissance par la France de l’assassinat d’Ali Boumendjel.
« Projet colonial dans son ensemble »
« Macron est dans l’action quand ses prédécesseurs étaient dans la parole, reconnaît Fouad Miloudi, 29 ans, président des Etudiants et cadres algériens en France (ECAF), pour qui « il faut désormais aller vers la reconnaissance des crimes coloniaux ». « Je suis arrivé à l’âge de 18 ans en France et j’étais surpris de voir que mes camarades ne connaissaient rien de la conquête coloniale », souligne-t-il. « La diaspora attend une juste reconnaissance pleine et entière du projet colonial dans son ensemble », abonde Badis Khenissa, président du cercle de réflexion Club Emergences.
Au-delà de la quête de vérité, cette reconnaissance permettrait de « recréer des passerelles » entre la France et l’Algérie, estime Kamel Mouellef, auteur de bandes dessinées sur des tirailleurs algériens engagés dans les deux guerres mondiales. Pour ce Lyonnais de 65 ans, le travail de mémoire entrepris par le chef de l’Etat devrait aussi aborder les raisons qui ont poussé la France à coloniser l’Algérie, en 1830. « Ce n’est pas une question de repentance ou d’excuses. Je veux que les Français comprennent ce qu’il s’est passé en Algérie, avance-t-il. Il y aura toujours des nostalgiques de l’OAS [Organisation de l’armée secrète], mais on va dans le bon sens. Il faut réussir à tourner la page. »
L’historienne Karima Dirèche veut croire que c’est possible et perçoit la reconnaissance de l’assassinat d’Ali Boumendjel comme « un geste d’apaisement qui fait écho aux discriminations » que peut vivre la diaspora algérienne en France, « surtout dans le climat actuel d’accusation de séparatisme et d’attaques contre l’islam ». Karima Dirèche se demande si le chef de l’Etat n’est pas en train de « renouer » avec le candidat à la présidentielle, qui avait, lors d’un voyage à Alger, en 2017, qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité » et de « vraie barbarie ». « J’ai voté pour lui en 2017 parce qu’il avait dit cela », confie Fouad Miloudi, pour qui les actes mémoriels de M. Macron vont à coup sûr lui apporter les voix d’Algériens de France lors du prochain scrutin présidentiel. « C’est un électorat qu’il faut chouchouter », confirme Karima Dirèche.
Au sein de la diaspora, on espère désormais d’autres gestes du chef de l’Etat tels qu’un accès aux archives. « On savait depuis vingt ans que Boumendjel avait été tué par les militaires français, rappelle Fouad Miloudi. On aimerait maintenant connaître des choses qu’on ne sait pas. »
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