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L’étau turc se resserre sur le nord de l’Irak – Un si Proche Orient

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Le président Erdogan semble plus que jamais déterminé à frapper en Irak la guérilla kurde du PKK, malgré l’opposition de Bagdad, et surtout de l’Iran.

Enterrement à Ankara, le 12 février, de trois militaires tués en opération en Irak (Adem Altan, AFP)

Mon dernier post de 2020 envisageait, pour l’année en cours, une offensive majeure de la Turquie dans le nord de l’Irak. Grisé par ses victoires successives dans le nord-est de la Syrie, puis en Libye, enfin dans le Caucase, le président Erdogan est à l’évidence tenté d’aller frapper jusqu’en Irak la hiérarchie militaire et les bases opérationnelles de la guérilla kurde du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Il a lancé le mois dernier la deuxième phase de l’opération « Griffes du Tigre » en territoire irakien, dont le premier volet d’intervention terrestre avait déjà entraîné la mort, en août 2020, de trois militaires irakiens. Ce nouvel engagement d’Ankara polarise la scène locale et régionale, laissant présager le pire si le chef de l’Etat turc met à exécution ses menaces d’escalade militaire.

LES LECONS DE « GRIFFES DU TIGRE »

Le PKK a installé le commandement de sa guérilla contre la Turquie à l’extrême nord-est de l’Irak, dans la chaîne montagneuse de Qandil, à la frontière iranienne. Il dispose également, toujours en territoire irakien, mais le long de la frontière turque, d’un chapelet d’implantations qui lui permettent d’assurer la liaison avec les zones de Syrie contrôlées par la branche locale du PKK, dans le cadre des Forces démocratiques syriennes (FDS). A la pointe de la lutte en Syrie contre Daech (« l’État islamique »), le PKK l’a aussi été dans le massif irakien du Sinjar (en kurde Shengal), où ses miliciens ont pu sauver et protéger les survivants yézidis de la barbarie jihadiste. Cet activisme du PKK en Irak est très mal ressenti par le Parti démocratique du Kurdistan (PDK), qui dirige depuis Erbil l’autonomie kurde du nord de l’Irak. Le PDK mise dès lors sur les interventions de la Turquie pour neutraliser ses rivaux kurdes du PKK.

C’est dans ce contexte qu’Erdogan a relancé, le 10 février, l’opération « Griffes du tigre » qui, selon Ankara, a permis d’éliminer une cinquantaine de guérilleros du PKK. Trois militaires turcs ont été tués durant les combats, concentrés dans la région frontalière de Gara, à 150 km au nord-ouest d’Erbil. Treize otages turcs, des militaires, policiers et agents de renseignement, que le PKK avait enlevés en 2015-16, ont également trouvé la mort. Ankara a accusé la guérilla kurde de les avoir assassinés, le PKK prétendant qu’il avaient péri dans les bombardements turcs. Ce sanglant échec de la tentative de libération des détenus turcs a provoqué une virulente polémique en Turquie, où il a aussi servi de justification à une nouvelle campagne d’arrestations dans les milieux kurdes et pro-kurdes. Erdogan a proclamé, le 15 février, que « à compter d’aujourd’hui, aucun endroit n’est sûr pour les terroristes, ni Qandil, ni le Sinjar, ni la Syrie ». Il a obtenu que l’administration Biden, après une réaction initialement mesurée, rende « les terroristes du PKK » responsables de la mort des otages turcs.

LES RISQUES D’UNE NOUVELLE ESCALADE

Toutes les conditions semblent désormais réunies pour qu’Erdogan accentue son engagement militaire en Irak. L’émotion suscitée en Turquie par le « massacre de Gara » crée un climat propice à une offensive qui se voudra punitive. Les États-Unis, après avoir si longtemps entretenu la fiction d’un PKK « terroriste » bien distinct des FDS, semblent se rallier aux visées d’Ankara. Quant au PDK, il espère pouvoir se débarrasser enfin des réseaux du PKK qui sapent son autorité au Kurdistan d’Irak. Bagdad et Erbil ont d’ailleurs conclu un accord visant à éliminer la présence du PKK dans le massif du Sinjar. Et c’est dans cette région qu’Ankara pourrait étendre ses opérations, afin d’atteindre enfin son but d’une « ceinture de sécurité » à sa frontière sud, débarrassée de la présence du PKK en territoire irakien comme elle l’est déjà en territoire syrien.

Le gouvernement irakien a naturellement mis en garde contre toute violation de sa souveraineté territoriale. Mais le Premier ministre irakien, en visite à Ankara en décembre dernier, se sait bien incapable de résister aux ambitions d’Erdogan. C’est dès lors la République islamique d’Iran qui est montée en première ligne pour dénoncer les visées turques: Téhéran soutient en effet le PKK, qui cautionne en retour la répression des Kurdes d’Iran; en outre, les milices pro-iraniennes, véritable Etat dans l’Etat en Irak, sont associées dans le Sinjar aux réseaux du PKK pour y faire barrage au PDK. Une nouvelle offensive de la Turquie en Irak pourrait désormais déboucher sur une crise majeure entre Ankara et Téhéran, appuyés respectivement sur le PDK et le PKK, polarisant encore plus la scène kurde entre ces deux partis. L’Irak apparaîtrait ainsi moins comme un Etat indépendant que comme le théâtre d’un bras de fer régional entre la Turquie et l’Iran. Cette configuration conflictuelle profiterait naturellement aux réseaux de Daech, dont la montée en puissance, avérée en Syrie, s’accentuerait d’autant en Irak. 

Face à de tels risques, tout devrait être tenté pour éviter une escalade de ce type. Rien ne semble pourtant être sérieusement entrepris. Espérons qu’il ne soit pas trop tard pour éviter le pire, alors même que résonne en Irak le message de paix du pape François.



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Nakodal

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